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« Etat secret, Etat clandestin », ou l’illusion de la transparence en démocratie

Livre. Malgré son nom, l’« Etat secret » n’est ni un pouvoir totalitaire ni une bande de comploteurs. C’est une émanation de l’Etat dont l’histoire épouse l’essor du pouvoir politique et administratif. C’est cette part occulte de l’Etat, ignorée du monde académique, que l’universitaire Sébastien-Yves Laurent tente de décrire dans son ouvrage Etat secret, Etat clandestin : essai sur la transparence démocratique (Gallimard, 360 pages, 22,50 euros). Selon lui, cette dimension secrète des affaires de l’Etat perdure même si elle est de plus en plus contestée, à l’heure de la « transparence » et de l’avancée des principes démocratiques.
Historien de profession, l’auteur centre son propos sur la France en s’appuyant sur les cas britannique et américain pour mieux en souligner les spécificités. La notion d’Etat secret naît, dit-il, dans le domaine du renseignement diplomatique. Puis le sceau du secret s’est étendu à l’ensemble des fonctions régaliennes, de même que sur les délibérations gouvernementales et la statistique. L’Etat médiéval organisait déjà le secret, notamment sur ses finances, un dogme que les révolutionnaires, dès 1791, ont voulu contester.
Selon l’auteur, le premier tournant historique sur la place du secret au sein des machines étatiques remonte au siècle des Lumières. La révolution des idées remet en question l’organisation sociale, institutionnelle et politique et le secret qui y est attaché. L’idéologie libérale, qui progresse peu à peu en Europe, change la donne en matière de publication des jugements, de débats parlementaires. C’est aussi l’heure de la liberté de la presse et de la formation de l’opinion publique.
Mais plus l’Etat se renforce, plus sa part de secret grandit. La cour de Charles VI compte, entre 1380 et 1420, de six cents à sept cents personnes, alors que celle de Louis XIV en recense dix mille. Aux XIXe et XXe siècles, l’explosion démographique et industrielle ainsi que les troubles en Europe conduisent les gouvernements à se doter de véritables appareils de renseignement qui deviennent l’incarnation de l’« Etat secret ». Les Etats veulent prévenir les risques et entraver les menaces. Les démocraties font vivre, en leur sein, une part d’ombre assumée par les pouvoirs exécutif et législatif.
Pour préserver ses secrets, l’Etat suit, voire anticipe, les évolutions technologiques. L’entrée dans l’ère nucléaire le conduit à hausser le niveau de secret dans le domaine scientifique. Le terrorisme est un autre tournant, qui convainc les gouvernements de modifier la nature du droit au profit du secret. L’Etat se protège avec le droit avant de protéger le droit.
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